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LES RAISONS DU CORPS SELON JEAN STAROBINSKI

Autore


Fernando Vidal

ICREA (Institution Catalane de Recherche et d’Études Avancées) - Université Rovira i Virgili (Tarragone, Espagne)

Directeur de recherche à ICREA (Institution Catalane de Recherche et d’Études Avancées) et Professeur au Centre de Recherche d’Anthropologie Médicale de l’Université Rovira i Virgili (Tarragone, Espagne)

Indice


  1. Introduction
  2. Les deux tournants

2a. Le tournant émotionnel 

2b. Le tournant intéroceptif

3. Une poétique de la subjectivité

3a. «Nous vivons des passions dont les mots nous précèdent»

3b. Le nœud psychosomatique

4. «…le message tout ensemble offert et enveloppé…»

 

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S&F_n. 23_2020

Abstract


Jean Starobinski on the Reason of Body

In posthumous homage to Jean Starobinski (1920-2019) on the centennial of his birth, this article sketches his thought on the «reasons of the body», linking it to certain contemporary fields of research. Prolonging the «somatic turn» of the 1980s, more recent «emotional» and «interoceptive turns» claim to reintegrate the body into history, the humanities and the neurocognitive sciences. Starobinski’s perspective helps bring their limits to light. Conversely, approaching his critical enterprise from their vantage point highlights its unique way of linking history and phenomenology, its sustained attention to the experience of the self and bodily self-awareness, and its demonstration of how the «reasons of the body» may be intimately bound to the literary expression that embodies them.

 

 

 

La subjectivité inaliénable de ma parole me rend capable de comprendre ces subjectivités éteintes dont l’histoire objective ne me donnait que les traces.

Maurice Merleau-Ponty, La Prose du monde

 

  1. Introduction

Au début de sa «Brève histoire de la conscience du corps», parue dans la Revue française de psychanalyse en 1981, Jean Starobinski cite une notation des Cahiers de Paul Valéry:

Somatisme (Hérésie de la fin des Temps)

Adoration, culte de la machine à vivre.

 

Puis il remarque:

L’hérésie annoncée par Valéry est presque devenue la religion officielle. Il n’est question que du corps, comme si on le retrouvait après un très long oubli: image du corps, langage du corps, conscience du corps, libération du corps sont devenus des mots de passe. Par contagion, les historiens s’intéressent à tout ce que les cultures antérieures à la nôtre ont fait du corps: tatouages, mutilations, célébrations, rituels attachés aux diverses fonctions corporelles. Les écrivains du passé sont à leur tour pris à témoin, de Rabelais à Flaubert: du coup, l’on a lieu de s’apercevoir que nous ne sommes pas les Christophe Colomb de la réalité corporelle. C’est la première connaissance qui soit entrée dans le savoir humain: «Ils connurent qu’ils étaient nus» (Genèse, 3, 7). Et depuis cet instant, le corps n’a jamais pu être ignoré[1].

 

Ces mots datent des premiers temps de l’histoire et de la sociologie du corps telles qu’elles émergent dans une atmosphère marquée par la pensée de Michel Foucault. Quarante ans plus tard, à un moment où le corps ne cesse d’apparaître sous des nouvelles formes comme un «champ de bataille»,[2] ils n’ont pas trop perdu de leur actualité – y compris dans leur ironie légère à l’égard des novateurs et dans la présence de l’œil médical qui diagnostique la contagion. Les observations du critique genevois sont des indices du «tournant somatique» qu’entamaient alors les sciences humaines.[3] L’objet de ce tournant n’était pas le corps tout court, mais le corps historicisé et le corps «biopolitique» compris comme lieu privilégié de la subjectivité, de l’intersubjectivité et de l’exercice du pouvoir[4].

Si l’on peut lire Jean Starobinski à la lumière d’un certain «moment somatique»[5], l’intérêt qu’il porte sa vie durant au corps se manifeste bien avant, dès le début des années 1950[6]. Le titre du recueil que nous avons publié en 1999, Razones del cuerpo (Raisons du corps ou Le Corps et ses raisons)[7], indique la nature de cet intérêt: il porte moins sur le corps de l’anatomie et de la physiologie que sur l’expérience corporelle de soi et sur la conscience du corps propre, dont les «raisons» particulières se métamorphosent en une expression littéraire qui fera corps avec elle. Interroger le «tournant somatique» à partir du regard de Jean Starobinski sur «les raisons du corps» fait ressortir ses limites; inversement, relire la critique starobinskienne dans la perspective de ce que le «moment somatique» est devenu met en relief son articulation unique de l’histoire et de la phénoménologie. Ce sera le propos de cet article.

 

  1. Les deux tournants

Prenons comme point de départ deux prolongements récents du tournant somatique des années 1980. L’un a été appelé «tournant émotionnel» ou «affectif», l’autre, «tournant intéroceptif». Bien qu’on ne les ait pas reliés entre eux, ils expriment une même préoccupation, que l’on suppose récente et contemporaine: celle de réintégrer le corps non seulement dans l’histoire et dans les sciences humaines, mais aussi dans les sciences cognitives et dans les sciences du cerveau. Souvent à partir d’une vision simpliste de l’histoire de la philosophie, on dit qu’il s’agit de dépasser le dualisme cartésien et de redonner au corps et à l’expérience corporelle, y compris dans leur dimension émotionnelle, la place qui leur revient dans une compréhension adéquate de l’être humain.

Le neuroscientifique Antonio Damasio est l’une des figures principales de ces tournants, grâce en particulier à deux grands succès de librairie: L’Erreur de Descartes, sous-titré La Raison des émotions, paru en 1994, puis, cinq ans plus tard, Le Sentiment même de soi, sous-titré Corps, émotions, conscience[8]. Damasio dit vouloir surmonter les disjonctions dualistes du corps et de l’esprit, de l’émotion et de la rationalité. Pour ce faire, il propose des modèles neuropsychologiques mettant l’accent sur le lien entre le corps et le cerveau et visant à montrer comment les émotions font partie des mécanismes de la raison. Vu le mauvais usage qu’il fait de Descartes, les historiens n’ont pas manqué d’en signaler l’ironie[9]. C’est justement sur le terrain du neuroscientifique, celui des sentiments et des émotions, que Descartes, dans Les Passions de l’âme (1649) en particulier, donne ses explications les plus complètes sur le rôle essentiel du corps dans la production de certains états mentaux et ne commet donc pas l’erreur qu’on lui attribue.

 

2a. Le tournant émotionnel

Du moins dans le monde anglophone, c’est également pendant les années 1990 que, partant d’une relecture de Descartes, de Malebranche et de Spinoza, des historiens de la première modernité commencent à faire attention aux théories des passions[10]. Cette attention accrue, qui définirait le «tournant émotionnel» dans l’histoire de la philosophie, se retrouve également dans la psychologie, dans la sociologie, dans l’économie et surtout dans un domaine d’études qui ne paraît moins en vogue que parce qu’il est complètement naturalisé: l’histoire des émotions. On date le boom de ce champ du début des années 2000 et l’idée d’un «tournant émotionnel» ou «affectif», du milieu de la décennie[11]. On considère que l’histoire des émotions «est arrivée à maturité dans la première moitié des années 2010»[12], et des introductions récentes insistent sur son énorme diversité[13]. Il s’agit en effet d’un domaine de recherche transversal, allant de l’Antiquité à nos jours, de l’histoire des idées à celle des pratiques corporelles, et de l’expérience et de l’expression individuelles à la formation de «communautés émotionnelles» caractérisées par des styles affectifs propres et par des manières spécifiques d’impliquer ou non le corps dans l’expression des émotions[14].

Le tournant émotionnel en histoire a pu être jugé sévèrement, comme un projet «peu révolutionnaire» situé «au croisement d’une histoire des mentalités et d’une histoire des idées qui ne disent pas toujours leur nom» et qui, sous couvert de restituer les émotions du passé, ne font que décrire des sensations individuelles ou des représentations collectives.[15] On s’est également interrogé sur les raisons de l’intérêt contemporain pour les émotions, le décrivant comme «un exemple de réflexivité sociale», comme une tentative de «corriger» des visions de l’être humain trop marquées par l’objectification propre à la rationalité scientifique, voire comme un «processus compensatoire» destiné à retrouver le vrai moi[16]. Valables ou non, ces interprétations relient le tournant affectif à un retour au corps et renforcent l’idée selon laquelle le domaine de l’histoire des émotions appartient au «monde pluridisciplinaire des sciences des émotions»[17]. Cela ne veut pas dire que ce domaine soit né dans le sillage de ces sciences. Sa généalogie est plus complexe, particulièrement dans le monde francophone, où elle remonterait à l’École des Annales et à l’histoire des mentalités et des sensibilités ainsi qu’à l’article de Marcel Mauss sur les «techniques du corps», paru en 1936 dans le Journal de Psychologie et très cité dans les travaux anglophones dès les années 1970[18].

Toujours est-il que, dans sa configuration actuelle et par les liens explicites qu’il entretien avec les sciences cognitives, le «tournant émotionnel», y compris le champ de l’histoire des émotions, s’est consolidé dans la même atmosphère que le «tournant neuroscientifique» des années 1990. Dans les sciences humaines, certains considèrent ce dernier comme une réaction au «tournant linguistique» des décennies précédentes, comme un contrecoup à la dématérialisation qui paraissait s’ensuivre de la primauté accordée au signifiant dans l’interprétation des faits humains[19]. Dans les neurosciences contemporaines, l’étude des émotions s’est imposée comme le domaine par excellence où l’on tente de relier le corps et l’esprit et de développer une approche intégrative de l’humain. Par exemple, une populaire psychologue explique qu’une émotion «est la création par votre cerveau de ce que vos sensations corporelles signifient, en rapport avec ce qui se passe autour de vous dans le monde»[20]. L’émotion serait la manière dont le cerveau donne un sens aux sensations en provenance du corps et du monde. Elle n’est pas une «réaction» face à l’extérieur, mais un moyen de «construire» le monde qui opère à travers le corps et s’avère partiellement façonné par des contextes cultures et des expériences vécues.

 

2b. Le tournant intéroceptif

Il en va de même du «tournant intéroceptif», qui est l’une des manifestations les plus récentes et significatives de la volonté de faire du corps le fondement de ce qui naguère n’était justement pas corps (la raison, la conscience). L’intéroception serait l’axe corps-cerveau des sensations concernant l’état intérieur du corps et de ses organes viscéraux; elle se distingue de l’extéroception, ou perception de l'environnement extérieur, et de la proprioception, ou perception de la position des différentes parties de son propre corps[21].

En fait, la terminologie n’est pas nettement fixée. D’une part, on dit que l’intéroception «comprend deux formes de perception: la proprioception (signaux provenant de la peau et de l’appareil musculosquelettique) et la viscéroception (signaux provenant des organes internes)»[22]. D’autre part, on distingue un sens «restrictif» et un sens «inclusif» du concept[23]. Selon le premier, l’intéroception comprend seulement les sensations provenant de l’intérieur du corps; dans la perspective du second, le terme désigne une notion générique englobant l’ensemble du vécu phénoménologique du corps. Dans les deux sens, l’intéroception est un produit du système nerveux central; toutefois, dans le second, l’accent est mis sur l’expérience et la représentation subjectives des états du corps.

Dans la mesure où l’intéroception n’est pas une nouveauté dans la recherche physiologique, l’originalité du tournant intéroceptif résiderait moins dans la découverte d’un processus (la détection des changements corporels internes) que dans l’importance phénoménologique et ontologique qu’on lui attribue lorsqu’on dit qu’elle est «au cœur même de notre sens du moi» et que l’on en fait le lien dynamique entre la physiologie et la vie mentale[24]. Ses problématiques concernent le «moi incarné» (embodied self) et le sens du moi, également corporel ou incarné, qui l’accompagne, en tant qu’objets de recherche empirique pour les sciences de la vie et les sciences humaines, pour les sciences du corps, de l’esprit et de la culture.

En écho au supposé «erreur de Descartes», on dit que le tournant intéroceptif est une étape récente dans le dépassement du «tournant introspectif» cartésien[25]. Le cliché s’impose dès qu’il s’agit de réaffirmer le corps et de le retrouver en profondeur, comme le proposent d’ailleurs diverses pratiques de bien-être appartenant au même paysage, telles que le biofeedback (déjà ancien), le mindfulness ou «pleine conscience», et le breathwork, une «respiration méditative» répandue aux Etats-Unis qui commence à être en vogue en Europe[26].

Les deux tournants comportent des tensions entre nature et culture, langage et expérience, l’individuel et le collectif[27]. D’une part, y compris parmi les historiens, on admet l’universalité des émotions et de l’intéroception, considérés comme des phénomènes pouvant être modulés par des facteurs individuels et des contextes socioculturels, mais enracinés dans un substrat biologique transhistorique et transculturel. D’autre part, en conséquence de leur nature modulable, on souligne la variété de leurs expressions ainsi que l’hétérogénéité des discours et des pratiques relatives à l’émotion et au corps propre. Cette tension conceptuelle se traduit dans la théorie et dans pratique de la recherche. Les chercheurs en sciences de la vie voudraient que leurs modèles puissent rendre compte de la diversité des formes concrètes des phénomènes émotionnels et intéroceptifs. À l’inverse, les chercheurs en sciences humaines voudraient éclairer leur fond d’universalité. Ces aspirations convergent vers un même désir: celui d’atteindre l’expérience de l’autre, de saisir sa subjectivité telle qu’elle est ou a été vécue à sa manière, en son temps et en son lieu.

 

  1. Une poétique de la subjectivité

Comment est-ce que la critique starobinskienne peut informer ce désir originaire? Le sociologue Éric Gagnon en donne quelques pistes lorsqu’il examine du point de vue des transformations de la subjectivité moderne le thème du masque et du dédoublement tel que Jean Starobinski l’aborde chez Montaigne, Rousseau et Stendhal. Gagnon y décèle «une sorte de phénoménologie historique» faisant attention à la manière «dont l’individu se réfléchit et se raconte» et repérant la manière dont l’intériorité «devient le pivot autour duquel se forme et s’organise la subjectivité contemporaine»[28]. Cependant, comme il le remarque pertinemment, Jean Starobinski ne se limite pas à retracer quelques étapes de ces transformations, mais cherche à saisir la «dramatique» et la «poétique» de la subjectivité[29]. Cela donne la clé du regard starobinskien à l’œuvre dans ses grands livres sur des auteurs individuels. Ceux-ci sont comme des somptueux portraits sur pied; mais il existe également un ensemble d’essais plus comparables à des estampes, à la gravure, dont le critique, bon connaisseur du genre, disait qu’elle est «l’art des signes synthétiques», un art «capable d’exprimer le monumental dans l’espace le plus restreint»[30].

Selon son habitude, Jean Starobinski considérait ces essais, restés épars, comme des ébauches et des matériaux préparatoires à de futures études à grande échelle. En 1989, préfaçant pour un livre qui fit date dans l’histoire du «moment somatique» la traduction anglaise de sa «Brève histoire de la conscience du corps» et de «Monsieur Teste face à la douleur (que nous abordons ci-dessous), il déclare:

Les essais suivants font partie d’une étude plus vaste, actuellement en préparation. Elle examinera, d’une part, le registre particulier de la vie du corps constitué par les sensations somatiques et, d’autre part, l’utilisation littéraire des images et des modes d’expression appartenant à ce registre. Seront également étudiées plusieurs des principales variations qui se sont produites dans l’histoire, tant dans le domaine de la théorie médicale et psychologique que dans les œuvres littéraires les plus importantes. En premier lieu, une telle étude permet un large exercice comparatif dans lequel le domaine observé comprendra à la fois la pensée objective la plus développée et les témoignages relatifs à l’expérience subjective la plus «immédiate». En outre, au-delà de toute restriction thématique, ces essais porteront également sur la notion de personne, ou, si l’on veut, d’individu; autrement dit, sur la manière dont l’expérience sensorielle (et, plus particulièrement, les éléments organiques et locomoteurs) contribue à la formation – ou à la décomposition – du sujet ou du moi, et sur les différents représentants littéraires de ce type de message corporel[31].

 

Ce passage exprime le désir et la vision d’un homme toujours tourné vers l’avenir de son œuvre. L’étude annoncée n’a cependant jamais vu le jour et il ne semble pas qu’elle ait jamais été «en préparation» en tant que telle. Il en reste néanmoins des échantillons et des amorces, des traces d’une prospection lucide du terrain dans lequel, au-delà des périodes explorées par Jean Starobinski, pousseront les tournants émotionnel et intéroceptif.

 

3a. «Nous vivons des passions dont les mots nous précèdent»

Pour ce qui est de l’histoire des émotions, nous retiendrons les travaux de Jean Starobinski sur l’histoire du concept de nostalgie. Ils sont au nombre de quatre, trois des années 1960 et un de 2003[32]. Sa thèse de médecine de 1960, Histoire du traitement de la mélancolie, ne fait que mentionner la nostalgie comme une «variété particulière» de la maladie; les articles développent un peu ce chapitre[33]. Les parties historiques de ces études se recoupent très largement et elles nous intéressent ici moins que les considérations qui les escortent. Celles-ci se recoupent également, mais avec des nuances; surtout, elles précisent la manière dont Jean Starobinski envisage le rapport des mots et des choses dans le domaine du sentiment.

Son vocable de choix dans ce champ est «sentiment». Les «émotionologues» parlent parfois de sentiment et de feeling, au sens d’expérience consciente des émotions, mais ce sont bien celles-ci qu’ils classifient ou étudient en laboratoire. La nostalgie y apparaît comme l’une des émotions dites complexes, secondaires ou mixtes[34]. Si son histoire relève par conséquent de l’histoire des émotions, sentiment, qui met en relief la dimension phénoménologique et l’état affectif de l’individu, exprime au mieux le propos starobinskien. Au passionné d’histoire sémantique qu’était Jean Starobinski[35], la nostalgie offre une opportunité magnifique. D’une part, on peut parfaitement dater l’invention du mot et suivre sa diffusion dans divers contextes de discours et d’expérience; d’autre part, le néologisme sert de point de départ à une «histoire des idées sans frontières» telle que la rêvait le penseur genevois.[36] Celle-ci est restée à l’état de projet pour ce qui est de la nostalgie. Mais en 1963, Jean Starobinski expliquait qu’elle comporterait l’histoire des sentiments et des mentalités, celle des structures sociales, ethniques, démographiques, «constituant le fond concret sur lequel s’élève l’histoire des sentiments», l’histoire des sciences, de la philosophie et de la littérature et, enfin, une réflexion philosophique «sur la signification morale et métaphysique de l’expérience nostalgique»[37].

L’origine de la «nostalgie» est une thèse soutenue à Bâle en 1688; avec elle, écrit Jean Starobinski, nous assistons «à la création d’une maladie». En effet, le mot est «forgé de toutes pièces pour faire entrer un sentiment assez particulier (Heimweh, regret, desiderium patriae) dans le vocabulaire de la nomenclature médicale»[38]. L’affection semble alors n’exister comme telle que par sa dénomination. C’est pourquoi Jean Starobinski la rapproche de l’amour selon La Rochefoucauld lorsque celui-ci déclare: «Il y a des gens qui n’auroient jamais été amoureux, s’ils n’avoient jamais entendu parler de l’amour»[39]. Ailleurs, pourtant, tout en citant à nouveau la même maxime (n° 136), il nuance cet apparent déterminisme lexical et s’interroge sur les limites de la connaissance historique.

L’histoire des sentiments, explique Jean Starobinski en 1966, soulève une «question de méthode, qui tient au rapport des sentiments et du langage»:

Les sentiments dont nous voulons retracer l’histoire ne nous sont accessibles qu’à partir du moment où ils se sont manifestés, verbalement ou par tout autre moyen expressif. Pour le critique, l’historien, un sentiment n’existe qu’au-delà du stade où celui-ci accède à son statut linguistique. Rien n’est saisissable d’un sentiment en deçà du point où il se nomme, où il se désigne et s’exprime. Ce n’est donc pas l’expérience affective elle-même qui s’offre à nous: seule la part de l’expérience affective qui a passé dans un style peut solliciter l’historien[40].

 

Pour le critique, «la verbalisation de l’expérience affective entre en composition dans la structure même du vécu. L’histoire des sentiments ne peut donc être autre chose que l’histoire des mots dans lesquels l’émotion s’est énoncée». Or, si «[n]ous ne pourrons jamais rejoindre telle quelle l’expérience subjective d’un homme du XVIIIe siècle», nous pouvons éviter de lui prêter «nos problèmes et nos “complexes”» en le traitant «comme l’habitant d’un pays lointain dont les usages et la langue sont différents et doivent être patiemment appris»[41].

Ces passages explicitent la «méthodologie» ou, plutôt, la «pensée métacritique» starobinskienne[42]. Ici, comme dans ses réflexions sur l’histoire, la théorie et la critique littéraires, qui étaient une forme discrète de prendre part aux débats des années 1960-1970 dans ces domaines, Jean Starobinski ne cherche pas une codification ou un ensemble de procédures, mais opère un retour réflexif sur sa pratique. Tant par sa volonté de ne parler de théorie que «de manière incidente, dans les marges»[43] que par sa position au sujet du rapport entre l’écriture et l’existence, le critique fait preuve d’une remarquable fidélité à soi-même. D’abord, comme il le déclare à propos de son approche à la littérature, il ne souhaite pas se plonger «dans une perspective existentielle»; ce qui compte pour lui, «c’est ce qui est véhiculé» par une œuvre[44]. L’expression la plus marquante de ce point de vue est sans doute celle qu’on lit dans La relation critique:

Rien n’oblige à partir en quête d’une Erlebnis […]. L’œuvre est révélatrice non seulement par sa ressemblance avec l’expérience intérieure de l’auteur, mais en raison de sa différence. Si les documents son assez nombreux pour permettre une image ‘vraisemblable’ de la personnalité empirique de l’auteur, il devient possible d’évaluer un nouvel écart: celui par lequel l’œuvre dépasse et transmue les données primitives de l’expérience. […] Il faut connaître l’homme et son existence empirique, pour savoir à quoi s’oppose l’œuvre, quel est son coefficient de négativité[45].

 

Autrement dit, «l’écriture n’est pas le truchement douteux de l’expérience intérieure, elle est l’expérience même»[46]. Jean Starobinski adopte la même position dans ses recherches plus historiques – à l’exception près que le sujet de l’expérience est au cœur même de l’intérêt historien et que cela appelle des explications. Il prend ainsi soin de situer Action et réaction, paru en 1999, «dans le domaine d’une histoire sémantique élargie, non pas dans celui de la phénoménologie». Et d’ajouter: «Sans nous désintéresser des phénomènes qui précèdent l’attention théorique qui les capte, nous avons préféré porter notre regard sur le langage dans lequel on les a décrits»[47]. Nous verrons pourtant que cette attention au langage témoigne d’une disposition proprement phénoménologique jamais démentie. Si Jean Starobinski rejette l’analyse psychobiographique, il ne partage pas le diagnostic de ses contemporains sur la «mort du sujet»[48].

La raison d’un tel positionnement avait été indirectement donnée en 1966. Elle tient à ce que le langage étant à la fois une barrière et une voie d’accès, «seule la part de l’expérience affective qui a passé dans un style peut solliciter l’historien». Les premières pages du dernier article de Jean Starobinski sur la nostalgie dévoilent toutefois la persistance d’une certaine tension, celle que nous avons repérée sous une autre forme dans les «tournants» qui nous occupent. D’une part, les sentiments peuvent être une «virtualité anthropologique fondamentale» et préexister aux mots qui les dénomment; d’autre part ils «n’existent pour notre conscience réfléchie qu’à partir du moment où ils ont reçu un nom»[49]. La notion de «conscience réfléchie» est ici primordiale. C’est elle qui mène Jean Starobinski à remarquer que les deux propositions «sont vraies à titre complémentaire»[50]. Un tel compromis met en relief le principe même de l’herméneutique starobinskienne: le langage qui décrit les phénomènes affectifs s’avère moins important par sa fonction de désignation qu’en tant qu’il articule et donne forme à une conscience. Or, précisément en raison de son enracinement dans la parole, cette conscience n’a rien de solipsiste.

Les «premières émotions», écrit Jean Starobinski dans Action et réaction, «précèdent et déterminent les mots; mais les mots […] précèdent et déterminent des émotions secondes. Nous vivons dans le lien social et la parole, et nous ne connaissons guère que des émotions secondes. Rares sont les moments où nous avons l’impression de revenir en deçà et de réaccéder à une expérience d’avant les mots […]»[51]. Des considérations semblables se retrouvent quelques années plus tard, lorsque, toujours au sujet de la nostalgie, le critique va au-delà de l’histoire sémantique pour esquisser un processus apparenté aux «effets de boucle» qu’Ian Hacking décrit à propos de la maladie mentale[52].

Une fois nommé, ayant acquis une identité, un sentiment n’est plus tout à fait le même. Un mot nouveau condense de l’incompris, qui auparavant était demeuré diffus. Il en fait un concept. Il opère une définition et il appelle un surcroît de définition: il devient matière à essais et traités. Le nom d’un état affectif, s’il est adopté et mis en circulation, ne se propage pas seulement dans le vocabulaire, il produit de nouveaux sentiments. Nous vivons des passions dont les mots nous précèdent, et que nous n’aurions pas éprouvées sans eux[53].

 

Voici donc à nouveau La Rochefoucauld. Le processus qui relie les passions et les mots échappe néanmoins à la subjectivité individuelle. Il commence par «un effet de mode ou de cliché», suivi d’une plus ample diffusion et d’une généralisation: «chaque groupe, chaque société voit, à une époque donnée, l’appel de plusieurs mots se répercuter presque sans fin, dans un processus “interactif” qui ne diffère pas de celui même de l’apprentissage d’une langue»[54]. Ces observations, à première vue purement méthodologiques, énoncent une appréhension philosophique du monde (qu’on pourrait aussi dire «anthropologique» dans la mesure où elle concerne avant tout l’être humain). La philosophie, remarque Jean Starobinski, cherche le sens, mais ne le traite pas «comme un objet de démonstration formalisable»; la critique, du moins celle qu’il qualifie de «modeste, sans prétention doctrinale avouée», s’en apparente et devient par-là «une réflexion philosophique en acte»[55].

Cette réflexion réside en grande mesure dans une vision des rapports entre les mots et les choses, le langage et l’existence, vision qui est en place dès les années 1960. Dévoilée au cours des décennies par touches discrètes, elle constitue un leitmotiv de la pensée starobinskienne. En amont, elle s’enracine dans ce que le critique décrit comme son «premier projet littéraire», qui devait être une «phénoménologie du comportement masqué»[56]. Jean Starobinski a toujours récusé l’exégèse psychologisante, mais le regard phénoménologique, lui, reste une constante de sa démarche d’interprète. Dans son premier projet de thèse, daté de 1947 et intitulé L’Existence masquée, il dit vouloir examiner «moins le masque que l’homme au masque»[57]. Très vite, il articule ce dessein à ce qui, dès sa thèse de médecine de 1960, s’impose comme l’un de ses thèmes majeurs: la mélancolie, avec le mélancolique comme archétype du dénonciateur des masques[58].

Écrivant en 1966 sur La Rochefoucauld, l’un des protagonistes principaux de son projet, Jean Starobinski souligne la fonction de la parole comme «fondement d’un ordre spécifiquement humain»[59]. Il y montre de la sympathie pour la manière dont le moraliste fait apparaître un «être de langage» et accomplit «une sorte de rédemption par l’expression» de notre nature corrompue[60]. Ce faisant, dit-il, La Rochefoucauld institue une «esthétique du sujet parlant». Or cette esthétique est aussi une éthique, que Jean Starobinski appelle «substitutive» parce qu’elle fait exister un être que l’individu «découvre non pas en lui, mais dans l’ordre de la relation»[61]. En fin de compte, la parole mélancolique qui démasque les vertus et les dénonce comme des vices déguisés trahit une confiance foncière dans le langage – dont le critique observe qu’elle est, «en dépit de tout, une confiance faite à la raison humaine»[62]. Dans ces remarques, Jean Starobinski dit son point de vue épistémologique et ontologique sur les mots et les choses, mais il affirme également la fonction éthique du langage et de la communication. Que se soit pour nous comprendre nous-mêmes ou les êtres humains du passé, on a toujours affaire à une «conscience réfléchie» incarnée dans une parole ayant «passé dans un style». Ceci nous amène au tournant intéroceptif.

 

3b. Le nœud psychosomatique

Le «sens intérieur du corps» est l’une des principales «pistes thématiques» que Jean Starobinski suit sa vie durant, avant même sa thèse de médecine sur l’histoire du traitement de la mélancolie; son intérêt est constant pour ce qui «porte un témoignage sur la perception intime du corps».[63] S’il se traduit rarement comme sujet principal, il perce dans ses livres sur Montesquieu, Diderot, Montaigne et Rousseau, ainsi que dans un nombre considérable d’articles[64]. Dans un entretien de 1990, le critique dit que «le nœud psychosomatique est précisément celui qui permet d’aborder conjointement une face [de l’expérience du corps] vécue et exprimée verbalement, et une face explorée objectivement par le médecin»[65]. Cette dernière retient son attention, notamment dans une brève histoire du concept de cénesthésie[66]. Mais c’est ailleurs que Jean Starobinski approche de plus près le «nœud psychosomatique».

Retournons d’abord à la «Brève histoire de la conscience du corps» de 1981. Certes, dit Jean Starobinski, «la première connaissance qui soit entrée dans le savoir humain» concerne le corps. Il n’empêche, fait-il observer après avoir cité le Livre de la Genèse, «que la conscience du corps, telle qu’on la pratique et telle qu’on en parle dans notre société, a certains traits originaux et nouveaux qu’il importe de dégager»[67]. Les verbes employés, parler et pratiquer, dévoilent l’essentiel d’une analyse qui va au-delà de la question historique pour mettre en relief la fonction phénoménologiquement constitutive de la parole. C’est dans ce sens que s’oriente dès lors le commentaire, attirant l’attention sur le caractère métaphorique de certaines argumentations psycho-médicales relatives aux altérations de la cénesthésie et sur le «luxe de formules métaphoriques» que les malades utilisent pour décrire leur symptômes[68]. Jean Starobinski lit dans la même perspective La Conscience morbide (1914) du psychologue et médecin français Charles Blondel. L’auteur, écrit-il, remarque «le caractère poétique» des tentatives des malades pour s’exprimer, et conclut:

Ce n’est donc pas le corps qui impose sa loi à la conscience. C’est la société qui, par l’entremise du langage, prend les commandes de la conscience et impose sa loi au corps. La théorie de Blondel tend à évincer le corps, comme source causale, pour le retrouver plus tard come agent des intentions expressives que l’individu lui impose sous la dictée de la conscience collective[69].

 

Le corps qui intéresse ici Jean Starobinski n’est pas celui de la physiologie, mais celui qui émet des messages porteurs de signification: «Les prescriptions sociales ne commandent pas seulement le langage, mais de surcroît les manifestations corporelles non verbales […]»[70]. Pareillement, ce qui compte dans le rêve selon Freud, c’est «la langue nouvelle» dans laquelle un matériau physiologique indifférent «a été interprété et transformé par le rêve»[71]. Le corps freudien n’est pas «source explicative», mais «lieu d’accomplissement des finalités expressives du désir»[72]. Sa fonction est essentiellement performative, et c’est pourquoi les pulsions donnent lieu «à des récits»[73].

On le voit, l’histoire de la conscience du corps selon Jean Starobinski relève moins de l’histoire professionnelle de la médecine qu’elle n’est un chapitre de son entreprise critique. C’est pourquoi, en tant qu’objet d’interprétation, une telle conscience n’advient qu’en se disant; nous ne pouvons connaître que ses manifestations expressives ni l’appréhender autrement qu’à travers les récits qu’elle suscite. Nous avons déjà signalé que la «méthodologie» starobinskienne ne prend pas la forme d’un système, mais de réflexions sporadiques sur une pratique. Or celle-ci témoigne à son tour de la «méthode» qui l’anime. L’hommage de Jean Starobinski à Maurice Merleau-Ponty, paru trois semaines après le décès subit de celui-ci le 3 mai 1961, en est un bel exemple. Bien sûr, le lien de la corporéité et de l’expression est au cœur de la phénoménologie de Merleau-Ponty. C’est toutefois la manière dont Jean Starobinski en parle qui révèle à quel point il reste profondément proche du philosophe. Au-delà des positionnements théoriques, demeure une sensibilité partagée[74]. «On trouve dans son œuvre des modèles de critique littéraire […]»[75]. Cette remarque faite en passant met à jour le fait que le sens le plus profond d’une entreprise critique peut résider dans sa vocation philosophique, de même que la philosophie la plus accomplie est en mesure de prendre la forme de la critique littéraire ou picturale. Il faudrait encore montrer comment cette vocation trouve dans l’essai son expression intrinsèque; comment, chez Jean Starobinski, l’essai est la matérialisation performative de ses idées sur la critique comme relation et sur la fonction éthique et ontologique de la parole[76].

Dans son hommage à Merleau-Ponty, Jean Starobinski célèbre la «longue et admirable attention» du philosophe «aux pouvoirs expressifs de l’homme». Ces pouvoirs sont enracinés dans la corporéité et dans l’expérience qu’elle rend possible: «Notre conscience est d’emblée engagée dans un corps et dans une situation vécue». Pour comprendre «par la base» les activités humaines, il faut récupérer la «vie antérieure à la réflexion philosophique». Le choix des citations est ici significatif:

«Tout le savoir s’installe dans les horizons ouverts par la    perception».

«C’est l’opération expressive du corps, commencée par la moindre perception, qui s’amplifie en peinture et en art».

«Dans le moment de l’expression, l’autre à qui je m’adresse et moi   qui m’exprime sommes liés sans concession»[77].

 

Le style indirect libre dont Jean Starobinski se sert pour résumer la pensée de Merleau-Ponty ainsi que l’articulation des citations dans son texte mettent en relief une dette d’inspiration, une sympathie à l’égard du philosophe, une sorte de communion de regards sur le monde et sur le rôle ontologique et éthique de la corporéité. En fait écho la «leçon», esquissée l’année suivante, que Jean Starobinski tire de la nostalgie lorsqu’il s’adresse à des médecins: la maladie, dit-il alors, est irréductible à une conduite, car elle «est vécue dans un corps et par un corps» et elle est «toujours un évènement vécu par une conscience, jusqu’aux limites du coma et de la mort»[78].

Allergique au jargon et à la méthodolatrie, trop intéressé à suivre le «mouvement» des consciences incarnées dans l’écriture de ses auteurs préférés, Jean Starobinski se dévoile dans ses choix thématiques et dans le détail de ses analyses. La parole selon lui ne dit pas un phénomène qui serait entièrement indépendante d’elle, mais un vécu qu’elle énonce et façonne. C’est donc naturellement sur elle qu’il porte toute son attention. Nous avons déjà remarqué son soin à relever le métaphorique dans le champ de la cénesthésie. Chez le Monsieur Teste de Paul Valéry, la métaphorisation est liée à une tentative de maîtrise de la douleur et d’objectivation du corps[79]. Dans l’histoire de la mélancolie, l’atrabile s’avère être «une métaphore qui s’ignore, et qui prétend s’imposer comme un fait d’expérience»[80]. Si la seconde partie de cette glose laisse voir l’influence de Gaston Bachelard[81], la première renvoie en dernière instance à une phénoménologie de l’expression de l’expérience du corps propre. On pourrait multiplier les exemples montrant à quel point, pour Jean Starobinski, le vécu intéroceptif est inséparable de son énonciation expressive. Prenons comme seul exemple «L’échelle des températures», sa splendide «lecture du corps» dans Madame Bovary.

Cette explication de Gustave Flaubert amène Jean Starobinski à deux questions primordiales qui se situent hors du roman. D’abord, «quelle est la part des “idées reçues”, des formules toutes faites, dans les mots et les images qui disent les sensations corporelles?» Ensuite:

alors que la bêtise [que Flaubert associe aux clichés des idées reçues] s’infiltre dans tous les comportements, dans tous les discours, n’y aurait-il pas un domaine qui en demeurerait indemne, et qui serait, précisément, la sensation, l’appréhension cénesthésique du corps par lui-même; en deçà des mots, et par son inarticulation même, le langage corporel ne serait-il pas la seule expression humaine qui ne contamineraient pas le poncif et l’ineptie?[82]

 

Le critique élude le devoir d’y répondre par une nouvelle question – qui rappelle néanmoins les limites de la connaissance à laquelle selon lui on peut prétendre: «Mais cette vérité du sentir, si proche de la muette vérité des choses, à la frontière du rien, quelle forme saura la retenir et la communiquer pour d’autres, par-delà les frontières du corps singulier?»[83]

L’habile contraposition de l’en deçà des mots et du par-delà les frontières du corps délimite l’espace où pourrait advenir la connaissance de l’expérience d’autrui – celui de la forme de sa parole, avec l’accent sur ce mot mis par l’auteur lui-même; celui de la «fine peau de l’apparence»[84]. L’«expérience cénesthésique» d’Emma Bovary appartient à un personnage romanesque. C’est là son avantage épistémique. Car dans la mesure où l’omniscient «artiste témoin» est seul capable de figurer «ce qui pour la conscience du personnage survient à la limite de l’irreprésentable»[85], l’imagination littéraire franchit des limites, brise des barrières et ouvre des possibilités fermées à l’enquête scientifique ou historique.

 

  1. «…le message tout ensemble offert et enveloppé…»

Ces limites, qui sont celles des tournants affectif et intéroceptif, n’impliquent pas une absence de rapport au vécu. Jean Starobinski mentionne «tout ce que Flaubert a pris à sa propre expérience (du désir, de l’illusion, du corps) pour l’attribuer à Emma»; mais il rappelle aussi comment l’expérience que l’écrivain «imagine dans le corps d’Emma a retenti en lui après coup: crises de nerfs, goût du poison».

Il y a là une circularité de l’expérience personnelle et de l’imaginaire littéraire dont la formule ne peut que recourir à la structure du chiasme: Flaubert figure dans le corps d’Emma des sensations qu’il a éprouvées lui-même; et il éprouve dans son corps les sensations qu’il a figurées dans la subjectivité charnelle d’Emma[86].

 

Nous retrouvons ici une «boucle» semblable à celle, esquissés plus haut, du vécu émotionnel. Non pas qu’Emma Bovary «soit la figuration de l’écrivain dans le roman»[87]. Si Jean Starobinski ne nie pas la valeur du diagnostic rétrospectif pour l’histoire de la médecine et des maladies[88], il le récuse en tant qu’outil interprétatif. Comme dans le cas de la mystérieuse maladie de Rousseau ou du spleen baudelairien, c’est plutôt ce que l’écrivain fait d’une expérience insaisissable en elle-même qui retient son attention[89]. Le texte, au sens le plus large de ce qui s’offre à l’interprétation, n’est pas simple «reflet» d’une vie et de ses circonstances; il faut au contraire lui supposer le pouvoir de les transcender. Écrire, dit Jean Starobinski à propos de la poésie de la mélancolie de Charles d’Orléans, «c’est transformer l’impossibilité de vivre en possibilité de dire»[90]. L’important, en somme, c’est la manière dont un certain langage – celui de la cénesthésie ou de la mélancolie – met des ressources expressives à disposition d’une réflexivité qui «reste solidaire d’un corps troublé»[91].

Nous avons vu, d’une part, que les champs qui participent des tournants émotionnel et intéroceptif tentent de concilier nature et culture, l’universel (les émotions et l’intéroception en tant que processus biopsychologiques propres à toute l’espèce humaine) et le particulier (les manifestations de ces processus dans leur variété individuelle et culturelle). Conciliation difficile dès que l’on veut aller au-delà des corrélations entre des comportements et des marqueurs biologiques, puisque le vécu émotionnel et la perception intime du corps ne se laissent saisir autrement qu’à travers leurs expressions, nécessairement contingentes. D’autre part, nous avons vu que l’intérêt que Jean Starobinski leur porte se concrétise dans une activité interprétative guidée par une compréhension du langage et du style comme ce qui, tout en ouvrant à l’expérience d’autrui, impose une barrière au-delà de laquelle on ne saurait aller sans anachronisme ou spéculation hasardeuse.

Cependant, et de cela aussi nous avons rendu compte, Jean Starobinski ne renonce pas au désir d’accéder à l’expérience d’autrui. Ce désir, que l’on ne peut jamais tout à fait satisfaire, est le moteur de l’«inquiétude» qui anime son travail d’interprète[92]. Sa «tâche de lecteur» est de reconnaître «un style, une parole adressée, une intention marquant sa trace grâce aux ressources et aux contraintes du langage»; en même temps, fidèle en cela à Merleau-Ponty, il rappelle que l’intériorité «où se forment nos intentions» ne se constitue «qu’à travers notre relation avec le monde extérieur et avec les êtres que la vie nous fait rencontrer» – êtres, pourtant, qui constituent ce qui perpétuellement «nous dépasse»[93]. L’intériorité renvoie nécessairement à une altérité qui la constitue, et c’est cela qui nous permet de comprendre les «subjectivités éteintes» dont les documents historiques portent les traces[94]. Toutefois, même le poète, pour qui «le plus précieux, c’est de recueillir dans son intégrité le message tout ensemble offert et enveloppé par les apparences», laisse un vide où se loge «ce que le poème vise sans l’atteindre, […] ce qu’il affronte ou désire sans pouvoir le capturer»[95].

Si la critique starobinskienne offre une «leçon» à l’historien de l’expérience du moi et du corps, c’est qu’il convient de suivre les «dialectiques» du langage comme ressource et contrainte, et des apparences comme ce qui dévoile et simultanément occulte; de rester sensible à l’écart entre les êtres de chair et les traces qu’ils laissent, à l’écoute du «coefficient de négativité» que tout document comporte, même le plus intime. Suivre ces dialectiques implique d’en rester à leur mouvement, renonçant à toucher l’autre dont l’existence est condition de la nôtre – mais non au désir de le rejoindre alors que perpétuellement il se dérobe. Interroger l’œuvre de Jean Starobinski à partir des tournants émotionnel et intéroceptif contemporains souligne en retour le caractère radicalement «historien» de sa pensée. C’est dans la même mesure où l’histoire des sentiments et de la conscience du corps est un chapitre de son entreprise critique que celle-ci est une manière de faire l’histoire qui restitue au corps toute l’étendue de ses raisons.


[1] J. Starobinski, Brève histoire de la conscience du corps», in «Revue française de psychanalyse», XLV, 1981, pp. 261-279, p. 261.

[2] «Le Corps: un champ de bataille ?» France Culture, 26 juin 2019, avec Sylviane Agacinski à propos de son livre L’Homme désincarné. Du corps charnel au corps fabriqué (2019), https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/le-corps-un-champ-de-bataille.

[3] R. Porter, History of the Body, in P. Burke (éd.), New Perspectives on Historical Writing, University Park, Pennsylvania 1991, pp. 206-232; D. Le Breton, Sociologie du corps: perspectives, in «Cahiers Internationaux de Sociologie», n.s., 90, 1991, pp. 131-143; B. S. Turner, Recent developments in the theory of the body», in M. Featherstone, M. Hepworth, B. S. Turner (éds.), The Body: Social Process and Cultural Theory, Sage, Londres 1991, pp. 1-35. Du très riche domaine francophone, mentionnons une réflexion pionnière: J. Revel, J.-P. Peter, Le corps. L’homme malade et son histoire, in J. Le Goff, P. Nora (éds.), Faire de l’histoire, III: Nouveaux objets, Gallimard, Paris 1974, pp. 169-191; une synthèse récente: A. Corbin, J.-J. Courtine, G. Vigarello (éds.), Histoire du corps, Seuil, Paris 2005-2006, 3 vols.; et une esquisse de ce qui reste à faire: Y. Ripa, L’histoire du corps, un puzzle inachevé, in «Revue historique», cccix, 4, 2007, pp. 887-898.

[4] R. Cooter, The Turn of the Body: History and the Politics of the Corporeal, in «Arbor », CLXXXVI, 743, 2010, pp. 393-405; Id., After Death/After-«Life»: The Social History of Medicine in Post-Postmodernity, in «Social History of Medicine», 20, 3, 2007, pp. 441-464, en particulier pp. 448-453; D. Le Breton, La Sociologie du corps, Presses Universitaires de France, Paris, 2018; N. Degele, S. Schmitz, Somatic turn? in «Soziologische Revue», 30, 2007, pp. 49-58; B. S. Turner, Body and Society, in G. Ritzer (éd.), The Blackwell Encyclopedia of Sociology, Blackwell, Oxford 2007, 335-338; B. S. Turner, Introduction: The Turn of the Body, in B. S. Turner (éd.), Routledge Handbook of Body Studies, Routledge, New York, 2012, pp. 1-17.

[5] R. Cooter, The Turn of the Body…, cit., p. 394.

[6] Voir, par exemple, J. Starobinski, La «sagesse du corps» et la maladie comme égarement: le «stress», in «Critique», 59, 1952, pp. 347-360 (à propos de H. Selye, The Physiology and Pathology of Exposure to Stress, Acta Endoerinologica, Montreal 1950). Sur l’ensemble des travaux poursuivant cet intérêt, voir F. Vidal, Jean Starobinski: The history of psychiatry as the cultural history of consciousness, in M. S. Micale, R. Porter (éds.), Discovering the History of Psychiatry, Oxford University Press, New York 1994, pp. 135-154; Id., L’arc-en-ciel de la mélancolie. Quelques pistes dans l’œuvre de Jean Starobinski, in «Bulletin du Cercle d’études internationales Jean Starobinski», 6, 2013, pp. 3-7; Id., Jean Starobinski: historien de la médecine?, in «Bulletin du Cercle d’études internationales Jean Starobinski», 8, 2015, pp. 3-8.

[7] J. Starobinski, Las razones del cuerpo, cuatro ediciones, Valladolid 1999, sélection de textes et introduction par F. Vidal, traduction et postface par J. M. Ballorca.

[8] A. Damasio, L’erreur de Descartes : La raison des émotions (1994), Jacob, Paris 2000; Id., Le sentiment même de soi. Cops, émotions, coscience (1999), Jacob, Paris 2010.

[9] G. Hatfield, The Passions of the Soul and Descartes’s Machine Psychology, in «Studies in History and Philosophy of Science», 38, 2007, pp. 1-35, pp. 3-4.

[10] S. Greenberg, On the Emotional Turn in the History of Early Modern Philosophy, https://emotionresearcher.com/on-the-emotional-turn-in-the-history-of-early-modern-philosophy/. «Première modernité» désigne l’early modern period des anglophones, allant en général du XVIe au XVIIIe siècle.

[11] J. Plamper, The History of Emotions: An Introduction, tr. angl. Oxford University Press, New York 2015, pp. 63-64.

[12] D. Boquet, P. Nagy, Pour une histoire intellectuelle des émotions, in «L’Atelier du Centre de recherches historiques», 16, 2016, DOI: 10.4000/acrh.7290.

[13] R. Boddice, The History of Emotions, Manchester University Press, Manchester, 2018; B. H. Rosenwein, R. Cristiani, What is the History of Emotions?, Polity Press, Cambridge 2018.

[14] B. H. Rosenwein, Les communautés émotionnelles et le corps, in «Médiévales», 61, 2011, pp. 55-76.

[15] A. Fossier, Un «emotional turn» en histoire ?, in «Nonfiction» (7 octobre 2010), compte rendu de D. Bouquet, P. Nagy, Le Sujet des émotions au Moyen Âge (2008)

https://www.nonfiction.fr/article-3832-un-emotional-turn-en-histoire.htm.

[16] A. M. González, In search of a sociological explanation for the emotional turn, in «Sociologia, Problemas e Práticas», 85, 107, pp. 27-45, en particulier pp. 29-30.

[17] P. Nagy, Faire l’histoire des émotions à l’heure des sciences de émotions, in «Bulletin du centre d’études médiévales d’Auxerre I - BUCEMA», 5, 2013, DOI: 10.4000/cem.12539.

[18] D. Boquet, P. Nagy, Une autre histoire des émotions (2017), https://emma.hypotheses.org/3007.

[19] F. Vidal, F. Ortega, Being Brains: Making the Cerebral Subject, Fordham University Press, New York 2017, chap. 2; F. Vidal, Le «neuro» à toutes les sauces: une cuisine auto-destructrice, in «Sensibilités. Histoire, critique & sciences sociales», 5, 2018, pp. 59-69.

[20] L. Feldman Barrett, How Emotions Are Made: The Secret Life of the Brain, Houghton Mifflin Harcourt, Boston 2017, p. 30.

[21] S. N. Garfinkel, A. K. Seth, A. B. Barrett, K. Suzuki, H. D. Critchley, Knowing your own heart: Distinguishing interoceptive accuracy from interoceptive awareness, in «Biological Psychology», 104, 2015, pp. 65-74.

[22] B. M. Herbert, O. Pollatos, The Body in the Mind: On the Relationship Between Interoception and Embodiment, in «Topics in Cognitive Science», 4, 2012, pp. 692-704, p. 693.

[23] E. Ceunen, J. W. S. Vlaeyen, I. Van Diest, On the Origin of Interoception, in «Frontiers in Psychology», 7, 2016, art. 743, DOI: 10.3389/fpsyg.2016.00743.

[24] N. Arikha, The interoceptive turn, in «Aeon» (17 juin 2019), https://aeon.co/essays/the-interoceptive-turn-is-maturing-as-a-rich-science-of-selfhood.

[25] Par exemple, M. Tsakiris, The multisensory basis of the self: From body to identity to others, in «The Quarterly Journal of Experimental Psychology», 70, 4, 2017, pp. 597-609, p. 597. La philosophe Frédérique de Vignemont fait preuve de plus de sensibilité historique : voir F. de Vignemont, Was Descartes right after all? An affective background for bodily awareness, in M. Tsakiris, H. De Preester (éds.), The Interoceptive Mind: From Homeostasis to Awareness, Oxford University Press, New York 2019), pp. 259-271, ainsi que son livre Mind the Body: An Exploration of Bodily Self-Awareness, Oxford University Press, New York 2018.

[26] T. Honnet, Larmes, cris et tremblements… «Breathwork», la respiration méditative qui libère les émotions, in «Madame Figaro» (15 avril 2019), http://madame.lefigaro.fr/bien-etre/breathwork-larmes-cris-et-tremblements-respiration-meditative-pour-lacher-prise-150419-164669. Sur le breathwork, il y a des nombreux sites web en français, allemand, espagnol, italien, anglais…

[27] Pour une éclairante analyse de ces tensions par rapport à l’histoire des émotions, voir Quentin Deluermoz, Emmanuel Fureix, Hervé Mazurel et M’hamed Oualdi, Écrire l’histoire des émotions: de l’objet à la catégorie d’analyse, «Revue d’histoire du XIXe siècle», 47, 2013, 155-189.

[28] É. Gagnon, Histoire et poétique de la subjectivité. Masque et dédoublement chez Jean Starobinski, in «SociologieS», 2017, http://journals.openedition.org/sociologies/6073, §§ 3, 26, 27.

[29] Ibid., §§ 28, 32.

[30] J. Starobinski, Albert Flocon. Paysages gravés (1951), in La beauté du monde. La littérature et les arts, éd. M. Rueff, Gallimard, Paris 2016, pp. 1086-1088, p. 1086.

[31] Id., The Natural and Literary History of Bodily Sensation, in M. Feher, R. Naddaff, N. Tazi (éds.), Fragments for a History of the Human Body II, Zone Books, New York 1989, p. 351.

[32] Avec deux autres articles plus exclusivement centrés sur la littérature, ces études ont été partiellement repris dans la partie «La leçon de la nostalgie» de J. Starobinski, L’Encre de la mélancolie, Seuil, Paris 2012.

[33] J. Starobinski, Histoire du traitement de la mélancolie (1960), in Id., L’Encre de la mélancolie, cit., p. 110.

[34] Le statut de la nostalgie reste néanmoins sujet à débat. Voir M. Hviid Jacobsen (éd.), Nostalgia Now: Cross-Disciplinary Perspectives on the Past in the Present, Routledge, New York 2020, en particulier les chapitres 1 et 2 (K. I. Batcho, Nostalgia: The paradoxical bittersweet emotion et T. Wildschut, C. Sedikides, The psychology of nostalgia: Delineating the emotion’s nature and functions).

[35] F. Azouvi, Histoire des sciences et histoire des mots, in Jean Starobinski – Cahiers pour un temps, Centre Georges Pompidou, Paris 1985, pp. 85-101; C. Pogliano, Jean Starobinski, in «Belfagor», 45, 1990, pp. 157-179; Id., Il bilinguismo imperfetto de Jean Starobinski, in «Intersezioni», 10, 1, 1990, pp. 171-183; J. M. Ballorca, Jean Starobinski: razones del cuerpo, razones del crítico, in «Revista de la Asociación Española de Neuropsiquiatría», XIX, 70, pp. 313-321; A. Trucchio, Jean Starobinski e la storia della medicina, in «S&F_scienzaefilosofia.it», 11, 2014, pp. 84-101, https://www.scienzaefilosofia.com/2018/03/19/jean-starobinski-e-la-storia-della-medicina/.

[36] J. Starobinski, Entretien avec Jacques Bonnet, in Jean Starobinski – Cahiers pour un temps, cit., pp. 9-23, pp. 21-22.

[37] Id., La nostalgie: théories médicales et expression littéraire, in «Studies on Voltaire and the Eighteenth Century», XXVII, 1963, pp. 1505‐1518, p. 1505.

[38] Ibid., p. 1506.

[39] Ibid., p. 1507.

[40] Id., Le concept de nostalgie, in «Diogène», 54, 1966, p. 92.

[41] Ibid., pp. 93, 94.

[42] M. Comte, Postface. Les approches du sens: à propos des écrits sur la critique de Jean Starobinski, in M. Comte, S. Cudré-Mauroux (éds.), Jean Starobinski – Les Approches du sens, La Dogana, Genève 2018, pp. 345-354.

[43] J. Starobinski, Remerciements prononcés lors d’une rencontre organisée par la Fondation Pittard de l’Andelyn et les Éditions Zoé à l’occasion de la publication de Jean Starobinski. L’apprentissage du regard par C. Colangelo (Genève, 15 juin 2004). Dépliant imprimé.

[44] Id., Le devoir d’écouter (entretien avec Patrizia Lombardo), in «Critique», 4, 791, 2013, pp. 331-343, p. 341.

[45] Id., La relation critique, Gallimard, Paris 1970, pp. 62-63.

[46] Ibid., p. 18.

[47] J. Starobinski, Action et réaction. Vie et aventures d’un couple, Seuil, Paris 1999, p. 350.

[48] C. Colangelo, «L’histoire des idées ou l’archéologie du savoir…», in Jean Starobinski – Les Approches du sens, cit., pp. 423-437, p. 432.

[49] J. Starobinski, Sur la nostalgie. La mémoire tourmentée, in «Cliniques méditerranéennes», 67, 2003, pp. 191-202, p. 191.

[50] Ibid.

[51] Id., Action et réaction…, cit. pp. 351-352.

[52] I. Hacking, The looping effects of human kinds, in D. Sperber, D. Premack, A. James Premack (éds.), Causal Cognition: A Multidisciplinary Debate, Oxford University Press, New York 1996, en ligne (2012), DOI: 10.1093/acprof:oso/9780198524021.003.0012.

[53] J. Starobinski, Sur la nostalgie…, cit., p. 192.

[54] Ibid.

[55] Id., Considérations sur l’état présent de la critique littéraire (1971), in Jean Starobinski – Les Approches du sens, cit., pp. 76-115, pp. 109 et 111. Pour une démonstration détaillée du caractère philosophique de la critique starobinskienne, voir C. Colangelo, Il richiamo delle apparenze. Saggio su Jean Starobinski, Quodlibet, Macerata 2001.

[56] J. Starobinski, Jean Starobinski sur la ligne Paris-Genève-Milan (entretien avec Michel Contat), in «Le Monde» (28 avril 1989), p. 24. Sur les prémices de ce thème omniprésent dans l’œuvre de J. Starobinski, voir M. Comte, L’existence masquée. Situation de Jean Starobinski en 1947, in Jean Starobinski – Les Approches du sens, cit., pp. 439-464. Interrogatoire du masque, le premier texte que J. Starobinski publie sur le sujet, paraît en 1946; révisé, il est repris sous le même titre, avec deux autres (de 1992 et 2014), dans J. Starobinski, Interrogatoire du masque, Éditions Galilée, Paris 2015.

[57] Cité par M. Comte, L’existence masquée…, cit., p. 444.

[58] F. Vidal, L’expérience mélancolique au regard de la critique, postface à J. Starobinski, L’Encre de la mélancolie, cit., pp. 625-639.

[59] J. Starobinski, La Rochefoucauld et les morales substitutives (II), in «Nouvelle Revue Française», 164, 1966, pp. 211-229, p. 214.

[60] Ibid., p. 219.

[61] Ibid., p. 224.

[62] Ibid., p. 229.

[63] Jean Starobinski sur la ligne Paris-Genève-Milan, cit.

[64] Voir Jean Starobinski – Las razones del cuerpo, cit., et F. Vidal, Jean Starobinski: historien de la médecine?, cit.

[65] V. Barras, Entretien avec Jean Starobinski (à l’occasion de son 70e anniversaire), 1e partie, in «Médecine et Hygiène», 48, 1990, pp. 3294-3297, p. 3295.

[66] J. Starobinski, Le concept de cénesthésie et les idées neuropsychologiques de Moritz Schiff, in «Gesnerus», 34, 1/2, 1977, pp. 2-19.

[67] Id., Brève histoire de la conscience du corps, cit., p. 261.

[68] Ibid., p. 268.

[69] Ibid., p. 269.

[70] Ibid., p. 270.

[71] Ibid., p. 272.

[72] Ibid., p. 273.

[73] Ibid., p. 277.

[74] Sur le rapport de J. Starobinski à la philosophie de Merleau-Ponty, voir Colangelo, Il richiamo delle apparenze…, cit., chap. 1, § 3. Il est aussi abordé à plusieurs endroits de la thèse de doctorat inédite d’Aldo Trucchio, Langage poétique et langage scientifique. Jean Starobinski et la «double légitimité» des savoirs (Faculté des Lettres, Université de Genève, 2016).

[75] J. Starobinski, Maurice Merleau-Ponty: «Je ne peux pas sortir de l’être», in «La Gazette littéraire» (supplément de la «Gazette de Lausanne»), n° 122 (27-28 mai 1961), pp. 18-19. Toutes nos citations proviennent de la p. 18.

[76] Voir en particulier J. Starobinski, Les enjeux de l’essai, in «Revue de Belles-Lettres», 2-3, 1987, pp. 93-107 (repris avec le titre Peut-on définir l’essai ? dans Jean Starobinski – Cahiers pour un temps, cit., pp. 185-196), mais aussi les textes sur la critique réunis dans Jean Starobinski – Les Approches du sens, cit.

[77] La première citation provient de La Phénoménologie de la perception, les deux autres, de Signes. Dans l’esprit d’un bref hommage, J. Starobinski ne fournit aucune référence.

[78] J. Starobinski, La leçon de la nostalgie, in «Médecine de France», 129, 1962, pp. 6‐11, p. 11.

[79] Id., Monsieur Teste face à la douleur, in Valéry, pour quoi?, Les impressions nouvelles, Paris 1987, pp. 93-119.

[80] Id., Histoire du traitement de la mélancolie, in L’Encre de la mélancolie, cit., p. 70.

[81] A. Trucchio, Jean Starobinski, lecteur de Gaston Bachelard au début des années 1950, in «Bulletin du Cercle d’études internationales Jean Starobinski», 6, 2013, pp. 8-9, 15-16.

[82] J. Starobinski, L’échelle des températures. Lecture du corps dans Madame Bovary, in G. Genette, T. Todorov (éds.), Travail de Flaubert, Seuil, Paris 1983, pp. 45-78, p. 77.

[83] Ibid.

[84] F. Vidal, La «fine peau de l’apparence». Style et présence au monde chez Jean Starobinski, in M. Gagnebin, C. Savinel (éds.), Starobinski en mouvement, Champ Vallon, Seyssel 2001, pp. 216-227.

[85] J. Starobinski, L’échelle des températures…, cit., p. 61.

[86] Ibid., p. 67.

[87] Ibid., p. 69.

[88] P.-O. Méthot, Jean Starobinski et la rationalité de la médecine, in «Bulletin du Cercle d’études internationales Jean Starobinski», 12, 2019, pp. 8-13.

[89] J. Starobinski, Sur la maladie de Rousseau (1962), in Jean-Jacques Rousseau. La transparence et l’obstacle, Gallimard, Paris 1971; Id., L’immortalité mélancolique, in «Le Temps de la réflexion», 3, 1982, pp. 231-251.

[90] Id., «Un éclat sans fin pour mon amour» (1963), in L’Encre de la mélancolie, cit., pp. 611-623, p. 622 (titre original: L’encre de la mélancolie).

[91] Id., L’échelle des températures…, cit., pp. 76-77.

[92] F. Vidal, «La vue d’ensemble délivre de l’inquiétude». Notes sur un thème starobinskien, in Jean Starobinski – Les Approches du sens, cit., pp. 395-409.

[93] J. Starobinski, Remerciements, cit. Voir aussi son explication de la phrase de Montaigne: «La parole est moytié à celuy qui parle, moitié à celuy qui l’escoute», dans J. Starobinski, La parole est moitié à celuy qui parle… – Entretiens avec Gérard Macé, La Dogana, Genève 2009, pp. 9-10.

[94] M. Merleau-Ponty, La Prose du monde (1969), in Œuvres, éd. C. Lefort, Gallimard, Paris 2010, p. 1455.

[95] J. Starobinski, “Parler avec la voix du jour”, préface à P. Jaccottet, Poésie 1946-1967, Gallimard, Paris 1971, pp. 7-22, p. 12.

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